Fanatik au sommet du char de Carimi.

Carnaval, masques, rythmes obsédants, tcha-tcha fidèle, tambour tenace, ivresse, vaccines, sueur salée, corps se coulant, spots aveuglants, transes, t-shirts tournants, couleurs criardes, chars massifs, sons saturés à satiété, doubles décibels, marée humaine, danse déchaînée, crépuscule impulsif, tribunes peintes, slogans de réclame, tops promotionnels, marchands
comme ministres, spectateurs comme saltimbanques tous à la solde des marques, enrôlés dans la pub, enroulés dans le rhum et les clopes, clopin-clopant bourrés sur un air de Vwadezil, voir des îles et — boire —, des îles tropicales, Tropico, trop, trop mortel… Mortel le câble qui traîne à haute tension, ‘tention un mec prend feu, feu d’artifice du feu de dieu, si Dieu le veut, en veux-tu des rumeurs, rumeurs alarmées de la foule en panique, nique la foule on s’en fout, devenus fous, nus devant ce trente-trois tonnes sans freins, sang, cervelle, os, cours, sans issue de secours… Plus de carnaval, v’là les funérailles, violons sirupeux sur fleurs funèbres, des
familles en deuil on n’entend pas les prières, prière de marcher tous en blanc mardi, merde, et tous ces morts étouffés, écrasés, piétinés…

Balayés par la mascarade, cercueils de papier mâché pour un hommage bidon, ô majesté, cinq ans après, où sont les chaussées et les ponts ?

Joueur de soussaphone de la fanfare nationale, dans l'entrée du palais national après sa performance dans la manifestation d'hommage aux victimes de l'accident.

Le carnaval haïtien

Existant depuis la période coloniale, l’événement est d’envergure nationale à Port-au-Prince et à Jacmel. Les festivités pré-carnavalesques commencent depuis 2010 après le 12 janvier pour respecter l’hommage aux victimes du séisme. Elles démarraient auparavant après le jour des Rois, le 6 janvier. Elles consistent en un défilé, chaque dimanche, de bandes à pied et de chars de DJ. Les groupes masqués, costumés, les compagnies de danse et les chars de groupes musicaux live rejoignent le show pour les parades officielles des trois jours gras — avant le mercredi des Cendres.
Les bandes à pied sont des orchestres déambulatoires propres à la culture carnavalesque haïtienne. Celles-ci structurent la vie d’un quartier, et à travers leurs refrains sont le véhicule de revendications sociales et politiques.

Les enjeux économiques autour de ces associations sont nombreux. Leur fonctionnement est ainsi sujet aux sponsors de notables locaux et d’entreprises privées. L’attribution des tribunes en bois peint qui bordent le parcours du défilé suit la même logique.

Michel Martelly, Président de la République d'Haïti, profite des festivités sous garde rapprochée.

Carnaval 2015

Dans un climat politique houleux, ponctué de grèves et de manifestations exigeant l’organisation d’élections démocratiques et la baisse des prix du carburant, l’organisation du carnaval a été retardée. L’impatience de la population à faire la fête était décuplée du fait du retour du Carnaval à Port-au-Prince, après une délocalisation de trois ans hors de la capitale et avec alors interdiction de s’y rassembler pendant les trois jours gras.

La fête battait son plein jusqu’à ce qu’un accident ait lieu dans la nuit du lundi au mardi gras : Fantom, le chanteur d’un des groupes de rap les plus importants en Haïti, Barikad Crew, a heurté un câble à haute tension lors de sa prestation en haut d’un char. La panique suivant son électrocution a provoqué 18 morts et 79 blessés, la plupart piétinés par la foule ou écrasés par le camion. Carnaval endeuillé et colère de la population se sentant de nouveau prise au piège des défaillances de l’organisation et du mépris du gouvernement face aux problèmes structurels du pays. En effet, cinq ans après le séisme, les travaux de reconstruction n’avancent pas. Trois jours de deuil national avec marche en hommage aux victimes, funérailles officielles sur le Champs-de-Mars… De nombreux Haïtiens, notamment des artistes, ont dénoncé une récupération démagogique de la part de l’exécutif. D’autre part, les interprétations mystiques n’ont pas manqué pour tenter d’expliquer l’électrocution : l’accident avait eu lieu devant le stand du cimetière de Port-au-Prince, dont certaines inscriptions étaient jugées douteuses ; le Président Martelly aurait interpelé des esprits malfaisants pour créer cet incident et garder le pouvoir ; Barikad Crew paraît enfin abonné à ce type d’accidents mystérieux, et Fantom venait de surcroît d’enregistrer un album solo intitulé … Pwen Final.